Carole Stromboni : « L’innovation n’est plus la chasse gardée des ingénieurs »
Experte en transformation digitale et en innovation, Carole Stromboni intervient à Ionis-STM. Elle signe « Innover en pratique, conseils et stratégies pratiques pour les PME : mener et réussir sa démarche d’innovation » (Eyrolles), un ouvrage à destination des dirigeants de PME pour les accompagner dans leurs démarches d’innovation, basé sur des conseils pratiques et des témoignages.
Pourquoi les PME doivent-elles aujourd’hui innover sous peine de disparaître ?
Carole Stromboni : Dans le contexte actuel, la concurrence est très forte. Les PME qui n’innovent pas sont à la fois concurrencées par les startups, qui vont sur des terrains où elles ne sont pas en traitant les points de blocage, et des grands groupes, qui possèdent beaucoup plus de moyens et cherchent à diversifier leurs sources de revenus. À cela s’ajoute l’internationalisation qui complique la possibilité de rester sur un marché local. La concurrence est donc à tous les niveaux. En faisant des recherches pour le livre, je souhaitais rentrer en contact avec des dirigeants de PME innovantes : il y en a peu et elles sont isolées. Bpifrance m’a ainsi expliqué que 90 % des PME ne se posaient même pas la question de l’innovation. La plupart sont dans des dynamiques du 20e siècle et ne voient pas pourquoi elles devraient changer.
Et pourtant, vous expliquez que leur taille est idéale pour innover…
Oui, car elles possèdent déjà une structure de travail, des processus de vente, une clientèle, un business model… En réalité, la marche à franchir pour innover n’est pas si haute ! Si on arrive à changer son état d’esprit, cela n’est pas si compliqué. Il est plus facile d’embarquer une petite ou une moyenne structure dans cette dynamique qu’un grand groupe.
Quels leviers doit-on actionner pour innover ?
J’en ai identifié trois principaux – l’humain, l’expérience et une démarche d’innovation frugale – sur lesquels on peut se baser. Mais tout dépend de la situation propre à chaque entreprise : quels sont les problèmes à traiter ? Comment s’appuyer sur les individus ? Quelles sont les priorités ? Il faut y aller, se lancer et tester. À l’image du « test & learn », dont on parle beaucoup, qui permet aux startups d’avancer plus vite. Si on arrive à changer d’état d’esprit, une partie du chemin est déjà faite et l’on peut ensuite traiter les problèmes au fur et à mesure.
Y a-t-il un point commun entre les PME qui innovent ? Un secret ?
Elles ont toutes à leur tête des dirigeants qui ont compris que le monde avait changé et qu’il fallait bouger. Le management traditionnel doit changer : les générations actuelles, et les plus jeunes, entretiennent un autre rapport au travail, avec plus d’autonomie. Le secret, c’est donc l’état d’esprit de ceux qui dirigent ces entreprises.
Au fond, l’innovation naît de la contrainte.
C’est le cas, à la fois au niveau structurel et individuel : l’innovation vient de personnes qui ont envie de changer les choses. C’est une sorte de contrainte psychologique qui impose un changement.
Pourquoi parle-t-on autant d’innovation aujourd’hui ?
C’est un mot valise très à la mode dont on ne parlait effectivement pas ou peu. Le milieu professionnel a toujours besoin de « buzzwords », de mots qui font rêver en donnant l’impression qu’on change, à tort ou a raison. Le digital et ses avancées, comme la possibilité de développer rapidement des choses par soi-même, ont rendu plus accessible la capacité d’innovation. On peut apprendre à coder et faire du prototypage très rapidement. L’innovation n’est plus la chasse gardée des ingénieurs. Elle est plus accessible, y compris par les étudiants. L’état d’esprit a également changé, avec une manière de penser proche de celle des designers : on innove plus vite et plus facilement.
Article initialement paru dans le numéro 43 du IONIS Mag